Raoul Barré | Présentation de Gaspard Fauteux
« Je réalise donc aujourd’hui un vieux rêve. Il prendra la forme d’une rétrospective comprenant près d’une centaine de reproductions des œuvres de Raoul Barré. »
Dans un texte de 1976 intitulé Barré l’Introuvable, l’historien de l’art André Martin écrit ceci : « Il demeure (Raoul Barré) l’un des créateurs les plus mal connus et les plus attachants de ce début de siècle. » Quand j’ai lu ces mots (« les plus mal connus… »), je suis demeuré perplexe. Ayant toujours vu mon grand-père Raoul comme un peintre de grand talent en plus d’être un pionnier du film d’animation, je ne comprenais pas ce que Martin voulait dire. J’étais dans la jeune trentaine à l’époque. Cela faisait plus de quarante ans que mon grand-père était décédé. Je ne l’avais jamais connu mais l’idée que je m’en faisais supposait une certaine notoriété. Bref, le peu que je savais de sa carrière m’impressionnait au plus haut point. N’avait-il pas eu son propre studio à New York ? N’avait-il pas créé de nouvelles techniques d’animation qui le situait à l’avant-garde de cette industrie naissante ? Le personnage de Félix le Chat m’était des plus familiers, tout comme ceux de Mutt et de Jeff, et de savoir qu’il leur avait donné vie, même s’ils sortaient de l’imagination fertile de Pat Sullivan et de Bud Fisher, me le mettait sur un piédestal.
Le fait est qu’on ne connaissait pratiquement rien de l’existence de Raoul Barré, si ce n’est qu’il avait vécu vingt-cinq ans dans la Grosse Pomme. La tâche à laquelle je voulais m’atteler s’annonçait dès lors passablement difficile. Comment en effet présenter cet homme mort bien avant ma naissance et dont la fille, ma mère en l’occurrence, ne m’avait que très peu parlé ? L’image que j’en ai repose davantage sur des impressions générales que sur des dates et des évènements précis. Je ne pense cependant pas m’éloigner de la vérité. Pour s’intéresser à tant de choses et explorer tant de domaines, il devait être entreprenant, communicatif, ouvert à la nouveauté. Oui, innovateur, et cela a été amplement documenté. Rêveur, sans doute aussi, mais avec cette audace et ce goût du risque qui lui permirent de se réaliser pleinement.
C’est dans son atelier new-yorkais que je me le représente le mieux. Je l’imagine, concentré, s’efforçant de résoudre tel ou tel problème de repérage ou superposant des phases d’animation avec la dextérité d’un orfèvre. Ou bien je l’installe à sa table à dessin et « À l’Hôtel du père Noé » prend forme. Et quel coup de crayon, quelle hardiesse du style! N’oublions pas qu’il a également laissé sa marque dans la caricature et la bande illustrée, ici même, à Montréal, au journal La Patrie, notamment. Le regard aigu qu’il portait sur le monde n’en était pas moins teinté d’humour, les visiteurs de ce site pourront mieux s’en rendre compte.
Voici en outre un conteur-né. Sans une verve féconde, comment aurait-il pu enfanter toutes ces histoires amusantes dont il a su régaler les amateurs de cartoons et de BD ? Cette verve, il devait la déployer aussi dans le quotidien. Cela m’aurait été un bonheur de l’entendre évoquer sa vie d’étudiant à Paris, les artistes, la bohème, les premières caricatures dans la célèbre revue Le Sifflet, tout comme sa rencontre avec le Premier ministre canadien de l’époque, Sir Wilfrid Laurier, alors en visite dans la Ville Lumière. Et j’aurais aimé qu’il m’explique comment le portraitiste en lui voyait ses sujets, qu’il s’agisse de l’Homme à la Meule, de Monsieur et Madame Roy, ou encore de Marguerite (La jeune fille en fleurs qui allait devenir ma mère) …
On a maintes fois écrit sur l’héritage de Raoul Barré mais il semble qu’on se soit moins intéressé à son parcours en ce qui a trait aux arts dits « nobles ». Il est vrai que seulement sept tableaux avaient été recensés et publiés jusqu’à tout récemment. Cette lacune est donc parfaitement compréhensible.
Nous avions cependant chez nous un certain nombre de ses tableaux et lors de notre séjour à Québec le Musée national des beaux-arts nous en avait prêté trois autres. J’étais ainsi en mesure d’apprécier sa contribution proprement artistique. C’est pourquoi le commentaire d’André Martin voulant que mon grand-père fût l’un des artistes les plus mal connus entrait en contradiction avec l’image que j’en avais. D’où cette urgence, ce sentiment impérieux qui m’habitait, de le faire connaître, lui et son œuvre, l’aspect pictural mis en relief davantage.
Il me fallait d’abord retrouver les tableaux manquants. Ma mère le disait plutôt nonchalant; chose certaine, l’homme n’avait jamais cru bon de créer un registre de ses productions et de leur vente. À ce travail de détective que je devais accomplir est venue s’ajouter la Covid-19. En raison des mesures sanitaires que l’on sait, nos institutions muséales se sont tournées vers les expositions virtuelles. C’est de tels palliatifs que m’est venue l’idée d’un site web.
Je réalise donc aujourd’hui un vieux rêve. Il prendra la forme d’une rétrospective comprenant près d’une centaine de reproductions des œuvres de Raoul Barré. Plusieurs de ses illustrations ou de ses toiles ont certainement échappé à mes recherches mais je conserve l’espoir de les retrouver et de les porter bientôt à la connaissance des internautes. D’autres œuvres peuvent refaire surface dans les mois à venir. Il n’est d’ailleurs pas exclu que le site mène à de nouvelles découvertes, ce qui permettrait d’enrichir la collection.
Dans mon esprit, il s’agit d’un support accueillant et facile d’accès, susceptible de compléter l’excellente biographie de Raoul Barré que nous devons à la Cinémathèque québécoise. Pour atteindre cet objectif, il aura fallu la collaboration de nombreux experts, mais je dois d’abord souligner l’appui indéfectible des familles Fauteux et Barré. Je me permets d’insister encore une fois sur l’aide précieuse de la Cinémathèque québécoise.
J’aurais évidemment souhaité que les reproductions fussent toutes de qualité irréprochable mais, comme je l’ai dit, nous n’avons malheureusement pu retracer les propriétaires de certains tableaux et avons dû nous contenter de photos disponibles sur l’Internet. Cela n’empêchera pas de passer de très agréables moments sur ce site. Chacun y trouvera quantité de blogues intéressants et de fréquentes mises à jour.
Au cours de la dernière année, mon travail a surtout consisté à étoffer l’ensemble du projet, ce qui m’a permis de nouer des relations fructueuses avec des collectionneurs, des chercheurs, des muséologues et divers représentants du milieu cinématographique, et tous ont confirmé ce que je pensais déjà, à savoir que l’œuvre de Raoul Barré est d’une importance exceptionnelle et ne doit pas tomber dans l’oubli.
J’ai pensé terminer ma présentation en citant ces mots de Dick Huemer* dans une lettre qu’il m’écrivait en date du 23 janvier 1975.
« Permettez-moi de vous répéter que depuis toutes ces années je n’ai rencontré de meilleur gentleman dans mon métier que Raoul Barré. Vous pouvez être fier d’être son descendant. »
*Huemer a commencé sa carrière dans l’industrie du cinéma en 1916 à titre d’animateur pour Raoul Barré lui-même. Il fut ensuite scénariste, réalisateur, et connut une longue et brillante carrière aux Studios Walt Disney.
une présentation
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M. Philippe Castonguay