Comment vous parler de Raoul Barré sans vous parler de Rockport, dans le Massachussetts, qui se trouve sur le Cape Ann à moins d’une heure de Boston. C’est Marguerite, ma mère et enfant unique de l’artiste, qui m’a fait découvrir l’endroit il y a de ça près de 60 ans. Maman affectionnait cet ancien petit village de pêcheurs devenu un endroit de villégiature particulièrement prisé par, entre autres, la communauté artistique. Cet été-là, elle y avait passé un mois. Préférant ne plus conduire seule de longues distances, c’est Jeanne (Nini), l’épouse de mon frère Paul, qui l’avait reconduite et je devais aller la rejoindre pour le retour.
J’ai dû faire le voyage en autobus avec un transfert à Burlington, au Vermont. C’était avant le réseau des grandes autoroutes, je vous assure que le voyage ne fut pas de tout repos! Ma mère est venue à ma rencontre à Peabody, une municipalité à une vingtaine de milles de Rockport.
Sur la route vers Rockport, elle m’a raconté l’histoire de ce petit bourg au bord de la mer où était allée à quelques reprises lorsqu’elle était enfant, accompagnée de son père. Elle m’avait alors mentionné que Raoul y avait peint, au fil des ans, quelques tableaux.
J’étais aussi surpris qu’elle choisisse de me parler de mon grand-père alors que nous nous trouvions en vacances, loin de la maison. Elle nous parlait peu de son père, qui avait divorcé de sa mère, mais elle n’avaittoujours que de bons mots à son égard.
En arrivant au village de Rockport elle m’a demandé si je me souvenais d’un tableau intitulé « Au bord de la mer ». Ce tableau se trouvait bien en évidence dans l’une des pièces du Bois de Coulonge, la résidence officielle du lieutenant gouverneur du Québec que nous occupions pendant un peu plus de sept ans, dans la Vieille capitale. Ce tableau représentait deux femmes assises sur des rochers escarpés, faisant face à la mer. Et bien sûr que je m’en souvenais! Je me rappelais exactement où il était situé, bien en vue de nos invités, au salon gris.
Ce superbe tableau fut peint à Bass Rocks, un secteur de Gloucester, une petite ville voisine de Rockport. Je me rappelle également que ma mère croyait, malgré qu’elle n’en eût pas la certitude, que c’est sa mère Antoinette et elle-même qui y figuraient.
Le lendemain matin, après une soirée de repos, ma mère nous avait préparé une visite pédestre me permettant de découvrir ce petit paradis qu’est Rockport et qui était en fait non seulement une colonie d’artistes des plus pittoresque, mais aussi l’une des plus anciennes d’Amérique à abriter un grand nombre de galeries. On se targuait même à l’époque de ce que tous les grands artistes nord-américains y avait peint au moins un tableau.
Bien que l’on sache que Barré s’y soit rendu à de nombreuses reprises, on ne connait que son tableau « Au bord de la mer » peint en Nouvelle Angleterre et qui fait aujourd’hui partie de la collection du Musée national des beaux-arts du Québec. Fait surprenant, rien, non plus, ne nous indique qu’il aurait peint la petite cabane rouge foncé située sur le quai de Bearskin Neck, et qui est aujourd’hui la marque de commerce de la mecque artistique qu’est Rockport. Mieux connue comme Motif no 1, cette cabane de pêcheur fait l’objet d’innombrables peintures et estampes répandues à travers le monde.
D’autre part, lors de notre visite, maman et moi sommes entrés dans un immeuble de style colonial tout blanc et fort bien entretenu, dont les deux petites vitrines présentaient de magnifiques tableaux de l’artiste peintre Paul Strisik. Marguerite voulait me montrer une œuvre dont elle songeait faire l’acquisition. « Un cadeau pour papa », disait-elle, lui qui allait célébrer bientôt ses 60 ans, et qui serait, à son avis, très belle dans le salon de la nouvelle maison que mes parents venaient de se faire construire à Senneville. Il s’agissait d’une scène maritime que Strisik avait créée sur la côte nord du Maine. Inutile de vous dire que ce tableau nous a suivi jusqu’à Montréal et que maman a pu l’apprécier jusqu’à son décès! Aujourd’hui il est sous la bonne garde de ma sœur, Mimi Fauteux Castonguay.
Il est intéressant de noter que Strisik est décédé à Rockport en 1998, à l’âge de 80 ans.
Enfin, j’ai adoré ce court séjour à Rockport, en compagnie de ma mère, où l’ambiance de l’époque était plutôt paisible et a éveillé en moi un intérêt pour les beaux-arts. C’est cette ambiance unique qui m’y a fait retourner presque annuellement pendant près d’une quinzaine d’années et de façon plus qu’occasionnelle depuis.