Raoul Barré un québécois à Paris (1896-1898).

Un texte de Joel Witek

« Paris ! Paris ! Enfin te voilà ! » pourraient être les premiers mots ayant
traversé l’esprit du jeune homme de vingt-deux ans fraîchement débarqué de
son Québec natal en ce début d’année 1896. Le voyage en bateau avait dû
s’avérer interminable pour ce talentueux dessinateur, bouillonnant
d’impatience à l’idée de se rendre dans la ville qui était encore à l’époque la
capitale des Arts.
Il n’était cependant plus tout à fait un débutant.
Après avoir fait ses armes à la maison, en étudiant d’abord au Collège Mont-
Saint-Louis de Montréal puis, de manière plus spécialisée, au Conseil des Arts
et Manufactures, il commence à dessiner pour des périodiques francophones ;
ainsi la toute jeune revue montréalaise Le Passe-Temps fondée en 1895, ou
encore Le Monde Illustré, un peu plus ancien.
Paris est alors en pleine effervescence artistique, car si l’Impressionnisme est
déjà un souvenir, d’autres mouvements picturaux sont en gestation. Ainsi voit-
on émerger, lors du Salon des indépendants de 1896, les prémisses de ce qui
sera bientôt le Fauvisme.
C’est dans ce contexte extrêmement favorable aux artistes de tous horizons
que Raoul Barré va se fondre.
Il lui faut d’abord parfaire sa technique en suivant les cours de l’académie
Julian, une école privée de peinture et de sculpture, fondée à Paris en 1866 par
le peintre Rodolphe Julian. Cette école, fort réputée, à la fois pour son
excellence, mais aussi pour son impossibilité chronique à faire respecter toute
forme de discipline, permettra tout de même l’éclosion du mouvement Nabis
avec, par exemple Pierre Bonnard, ou encore d’individualités comme Matisse,
Duchamp ou Dubuffet. Parallèlement, il assiste aux cours d’Henri Royer (1869-
1938) peintre et enseignant ; il fréquente Le Louvre et passe beaucoup de
temps à copier ses œuvres.
Il devient l’élève d’un sculpteur de talent, Jean-Paul Lorens (1838-1921),
brillant érudit, qui l’initie non seulement à son art mais aussi à la politique car il
est républicain et anticlérical. Cette rencontre influence grandement le jeune
Barré qui fait siennes des valeurs auxquelles il restera attaché toute sa vie :
liberté et justice.

Depuis 1894 la France est cruellement divisée par l’affaire Dreyfus, une affaire
d’état dont l’état justement n’est pas sorti grandi. Elle divise la société en deux
parties : les dreyfusards et les anti-dreyfusards. Le tout est un mélange
complexe et nauséabond d’antisémitisme et de nationalisme revanchard. Pour
beaucoup, cependant, un innocent a été accusé à tort et risque de mourir au
bagne, un innocent qu’il s’agit de défendre haut et fort.
Le 13 janvier 1898 l’écrivain dreyfusard Émile Zola fait paraître dans le journal
L’Aurore sa fameuse lettre ouverte au président de la république française sous
le titre : « J’accuse… ».
Le 17 février 1898 est créé le journal satirique dreyfusard Le Sifflet. Parmi les
premiers contributeurs du titre se trouvent, outre Félix Vallotton, un certain
Raoul Barré qui trouve là de quoi défendre ses valeurs avec des dessins qui
n’épargnent ni l’armée, ni l’église considérées comme liberticides. Le journal
subit de très nombreux procès, et cessera d’être publié le 16 juin 1899. Il
collaborera également avec la Gaîté Gauloise, le Gavroche, la Revue des Deux
Frances et le Cri de Paris.
Raoul Barré regagne son Québec natal en août 1898.
Barré récidive et revient à Paris en 1901, cette fois avec sa jeune épouse
Antoinette. C’est dans cette ville que nait en juillet 1902 leur fille Marguerite et
qui sera enfant unique de l’artiste. En novembre de la même année, la petite
famille revient à Montréal.
Il reviendra quelquefois à Paris. Caricaturiste n’étant cependant visiblement
pas suffisant pour étancher le besoin de créer de ce diable d’homme, celui-ci
aura encore le temps de devenir réalisateur, scénariste, peintre, illustrateur et
animateur (de dessins animés).
Il restera sa vie entière un génial touche à tout pétri d’humanisme.
À noter : il fut le seul dessinateur de presse québécois à être publié en France.

Joël Witek
25 février 2023

1 réflexion au sujet de « Raoul Barré un québécois à Paris (1896-1898). »

  1. Cher Joël
    Grand merci pour ce blogue. Un beau témoignage en égard à Raoul Barré. À 22 ans quitter Montréal, sa famille ses amis afin de se rendre à Paris étudier à l’académie Julian nous démontre un jeune homme tenace, prêt à tout, afin de développer son talent. Ce jeune artiste s’est ensuite exilé à New-York pendant plus de vingt-cinq ans. Barré est ensuite rentré à Montréal où il est décédé quelques années plus tard..

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