Ma découverte de Raoul-Barré est pour moi une révélation tardive. Je n’ai jamais connu mon grand-père Raoul qui est décédé dix ans avant ma naissance. Maman qui était enfant unique n’en parlait que rarement et peu.
Barré pour moi c’était un peintre. J’avais vu bon nombre de ses tableaux mais je n’avais jamais pris le temps d’apprécier ses caricatures, ses illustrations, ses bandes dessinées et films d’animation. Je suis de la génération des dinosaures technologiques. Aussi les résultats de mes premières recherches à son sujet étaient-elles lentes, complexes et souvent erronées ou, à tout le moins, incomplètes.
J’avais ouï-dire que certains employés du studio d’animation que Barré exploitait dans le Bronx, à New York, l’avaient quitté pour aller faire carrière avec Walt Disney. Et, lorsqu’un ami m’a offert un superbe livre sur ce dernier, je me souviens de l’avoir feuilleté en cherchant en vain une quelconque référence à mon talentueux grand-père.
Je m’étais donc résolu à écrire une lettre à l’attention de l’archiviste ou de l’historien du Studio Walt Disney. Un « Avis de recherche » en quelque sorte qui me permettrait, je l’espérais, d’en savoir davantage sur ce pionnier des films d’animations, qu’était Raoul Barré.
La réponse à ma lettre tardait à ce point que je ne croyais plus que l’on donnerait suite à ma demande. Telle fut donc ma surprise de retrouver dans mon courrier quelques mois plus tard, fin janvier 1975, une lettre signée Dick Huemer.
Dick Huemer m’y raconte que lorsqu’il était jeune homme, il habitait justement le quartier où se situait le studio de mon grand-père. Il passait presque tous les jours devant la modeste enseigne, qui se lisait simplement « Raoul Barré dessinateur », d’un immeuble en bois de deux étages au coin de la Fordham University.
« Pendant des mois j’avais passé cette porte presque quotidiennement essayant d’avoir suffisamment de courage pour monter les escaliers et demander un travail en utilisant mon accent brooklynois à ce monsieur Barré dessinateur », m’a écrit Dick. Il n’avait que 18 ans et disait déjà souhaiter devenir dessinateur de bande dessinée. Son premier emploi à ce titre, il le trouva auprès de cet homme qu’il décrivait comme « brun potelée aux yeux gris souriants et à l’accent qui avait une certaine résonnance française ». Ce n’est que plus tard que qu’il apprit qu’il était Canadien français.
De toute évidence, Dick Huemer était reconnaissant envers mon grand-père qui l’a initié aux mystères de l’art animé en lui faisant peindre en noir les souliers, couvre-chef et paletot du personnage Jeff, du célèbre duo de l’époque Mutt and Jeff. Ce passage au studio Barré lui a permis de faire carrière plus tard dans l’univers de Walt Disney, du 16 avril 1933 au 28 février 1973.
Raoul Barré était un homme bon pour qui travailler, selon Huemer. Il avait une dévotion profonde pour son créneau naissant. Mais, d’un point de vue économique, c’était une nouvelle forme d’art peu lucrative. Bien avant Disney, le Montréalais d’origine a néanmoins eu l’idée de réinvestir ses minuscules bénéfices dans la création de meilleures images, afin de susciter une demande et faire plus d’argent pour toutes les personnes concernées, tant artistes que producteurs.
Dans une publication de Huemer sur Internet http://huemer.com/animate3.htm il relate le quotidien au Barré Studio où travaillaient une douzaine de personnes. L’ex-producteur de Disney souligne aussi que son ancien employeur avait été interné suite à une dépression nerveuse et qu’il en était décédé quelques temps plus tard. C’est moi qui l’ai corrigé, en lui apprenant qu’il avait plutôt survécu à ses problèmes de santé mentale. Mon grand-père a en effet regagné le Québec après son épisode new-yorkais, où il eut une vie productive d’une dizaine d’années avant de mourir d’un cancer.
Je me promettais bien de rencontrer Dick Huemer lors d’un voyage d’affaires à Los Angeles, au printemps 1975. Malheureusement, un horaire serré ainsi qu’une mauvaise appréciation de la distance à parcourir m’en ont empêché. Cette opportunité unique ratée, m’a été une grande déception.
Malgré tout, je chéris ces mots que m’a laissé l’artiste américain : « Je n’ai jamais rencontré quelqu’un plus fin que Raoul Barré. Tu peux être fier d’être son descendant! »